sorbonne universite

Transnum

Penser les transformations du / par le numérique

Le programme TRANSNUM a commencé par proposer un travail de repérage, de mise en commun et de théorisation croisée, de façon à rendre possible l’identification de problématiques communes et d’expériences complémentaires parmi tous les partenaires de la communauté d’établissements. Les travaux, courant sur une période de 16 mois (mars 2017-juin 2018), se sont organisés autour de trois problématiques, et d’un questionnement transversal : 

0. Penser le numérique (Bruno Bachimont et Emmanuël Souchier) 

La question de la définition de « ce qu’est le numérique » n’est pas résolue ; si l’on s’accorde sur l’idée d’une « conversion numérique » (Doueihi) dont les effets sont comparables, en termes culturels, à ceux de la Renaissance européenne, il importe de se donner les moyens de penser avec un recul critique les incidences générales des innovations techniques liées à la numérisation dont l’ampleur doit être conçue comme anthropologique. Prédominance du calcul, logique du flux, de l’actualisation, mélange du marchand et du non marchand : autant de traits généraux qui seront à l’épreuve d’une réflexion transversale, nourrie par les problématiques plus thématiques, et questionnant aussi les « bords » ou les « marges » du numérique. Autour des humanités numériques, avec le labex OBVIL, et de la mutation plus transversale des « écritures numériques », la dimension créative, esthétique et culturelle de ces transformations trouve une place centrale dans ce premier axe de questionnement.

1. Numérique et savoirs (Isabelle Cailleau, Joëlle le Marec et Laurent Petit) 

La dimension techniquement constituée de l’intellect et de la connaissance est un postulat partagé par les chercheurs réunis au sein de TRANSNUM. D’où la question suivante : comment le développement du numérique transforme-t-il les conditions du savoir, dans tous les domaines réunis au sein de la communauté d’établissements Sorbonne Universités ? 

Trois directions peuvent être d’emblée réunies sous ce premier questionnement. 

  • Il s’agit d’une part de recherches d’ordre cognitif (formation des savoirs) : puisque les « façons de percevoir » sont modifiées par les technologies numériques, c’est le fonctionnement de la connaissance qui se trouve transformé, ainsi que les représentations qui y sont associées ; l’alliance entre sciences expérimentales et sciences cognitives est sur ce plan particulièrement cruciale, et est déjà régulièrement mise en œuvre dans le cadre de l’UTC.
  • D’autre part, les transformations de la formation, comme espace de diffusion des savoirs, demandent à être pensées en relation avec les mutations liées au numérique : sont concernés aussi bien l’enseignement primaire et secondaire, où s’impose désormais l’apprentissage de la « littératie numérique », que l’enseignement supérieur et la formation professionnelle ; il s’agit en particulier d’étudier les logiques d’industrialisation et de marchandisation (distinctes mais souvent liées) qui prennent des formes nouvelles à travers les plateformes et autres dispositifs pédagogiques numériques. 
  • Enfin, l’accès au savoir scientifique se trouve à la fois élargi et fragilisé par de nouvelles pratiques d’information à distance. La relation entre public et experts, les transformations des pratiques studieuses, le développement de plateformes mi-marchandes mi-scientifiques sont autant de domaines où la collaboration entre chercheurs en sciences humaines et en sciences exactes apporte des éléments d’éclairage inédits. 

2. Numérique, médias, citoyenneté (Clément Mabi, Denis Ruellan et Juliette Charbonneaux) 

Après une première phase de développement riche en promesses politiques, allant de « l’âge de l’accès » (J. Rifkin) à la « démocratie internet » (D. Cardon), les transformations du/par le numérique suscitent désormais des inquiétudes croissantes : « ré-information », « désinformation », « post-vérité » tous ces termes valent comme symptôme d’une incertitude quant au lien existant entre dispositifs médiatiques, journalisme, et exercice de la citoyenneté. Entre contrôle et ouverture, différents types de questionnements peuvent être d’emblée envisagés, qui interrogent les enjeux politiques du numérique : 

  • Espace public et expression citoyenne : s’il n’y a pas de pensée sans dispositifs d’inscription, on ne peut envisager l’espace public sans la mise en circulation de savoirs partagés, qui fondent le sentiment d’appartenance à une communauté. En milieu numérique, l’expansion des espaces de publication individuels entre en dialectique avec la mise en doute des formes d’expression institutionnelles, affectant les modes de représentation du collectif (genre, sociabilité, partis politiques), et imposant une redéfinition des rôles et des vérités politiques. De nouvelles formes de participation citoyenne se conjuguent à la revendication d’une transparence peu compatible avec l’exercice concret du leadership ; d’un autre côté, les formes du politique de la conception des lois à la communication présidentielle – doivent se réinventer pour s’adapter à ces nouvelles formes d’échange.
  • Données et démocratie : la communauté Sorbonne Université réunit d’un côté des chercheurs en informatique spécialisés dans le développement de bases de données, la fouille d’informations à grande échelle, et d’un autre côté des chercheurs en SHS spécialistes de sociologie, d’histoire et de sciences politiques. Or ces deux domaines gagneraient à resserrer leurs liens, dans la mesure où les enjeux techniques propres aux « big data » croisent des questionnements éthiques, juridiques et politiques – surveillance, « ouverture » des données, « open gouvernement ». 
  • Médias et données : la transformation des formes d’accès à l’information, et en particulier aux données personnelles, détermine une mutation majeure du système médiatique. Cela concerne d’une part le marché du journalisme, dont le modèle du kiosque se trouve bouleversé par les nouveaux modes de connaissance du lectorat, et tend à faire de l’offre médiatique une réponse à des attentes de plus en plus finement déterminées, dans un retour à la logique d’abonnement. Cela affecte d’autre part la question de l’offre éditoriale en général – désormais, l’information doit se confronter à une logique de prédiction, assise sur des données statistiques peu compatibles avec l’exercice d’analyse, de commentaire et d’interprétation propre au journalisme tel qu’il s’est professionnalisé depuis la fin du 19e siècle. 

3. Numérique, travail et économie (Frédéric Huet, Caroline Marti et Dominique Cotte) 

Les transformations du/par le numérique concernent l’organisation du travail, de l’économie, et plus largement toutes les formes de coopération sociale. Afin de restreindre le champ ici considéré, le programme Transnum propose d’analyser ces changements à travers la notion de plateformisation, terme qui fait apparaître à la fois la dimension foncièrement éditoriale de l’économie numérique, et la porosité entre espaces marchands et non marchands. C’est le fonctionnement d’un « capitalisme médiatique » ou d’un « capitalisme cognitif » qui doit ici être identifié. Trois directions complémentaires sont envisagées : 

  • Economie de la collaboration et inventivité du travail : le déploiement du numérique s’adosse à l’explosion du « travail du consommateur » (Dujarier), et transforme plus généralement les relations au sein des organisations. Une approche socio-économique de ces mutations mène à interroger la triade travail/emploi/activité, et la tension plus générale entre valeur des « intangibles » et processus de codification. Cela passe par une analyse sémiotique des formes associées à la représentation des rôles, des gestes, des valeurs du monde professionnel, mais aussi par l’interrogation des risques (exclusion) et promesses (inventivité) contenus par le « digital labor ».
  • Economie des contenus : recommandation, prescription et marché des industries culturelles la théorie des industries culturelles s’est développée, dans l’immédiat après- guerre, en ayant pour horizon les premiers médias de masse (presse, audiovisuel). La numérisation de la culture transforme les modèles économiques, en intégrant par exemple dans les espaces éditoriaux réservés à la critique les logiques et les signes de la marchandisation (mise aux enchères instantanée des annonces, votes et notations). 
  • Numérique et finance : la digitalisation de l’économie transforme le fonctionnement du secteur financier et bancaire, faisant entrer dans le domaine de « l’algotrading » et bouleversant le marché de l’emploi dans ce domaine. Au-delà, la logique de la « vente aux enchères » et du calcul automatisé trouve de nouvelles dynamiques dans des secteurs très diversifiés, de la vente d’espaces publicitaires dans les sites d’information aux sites de marchands de voyage. 
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